rse | 11/12/19

Comptabilité extra-financière

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On retrouve les premières traces de comptabilité dans l’Égypte antique sur de l’argile ou du papyrus. Répandue sur le pourtour méditerranéen, elle a une utilité marchande et de contrôle des impôts. Au XVIème siècle, Luca Pacioli théorise la comptabilité « en partie double » qui est toujours la règle aujourd’hui : une écriture doit se voir dans 2 comptes comptables, l’un au crédit et l’autre au débit.

 

Prémices

Le concept de notation environnementale est né de l’Agenda 21 des Nations Unies en 1992 en réponse aux préoccupations environnementales qui se développent depuis deux décennies. Afin de comptabiliser ce qui n’est pas matériel, un important travail de réflexion et de normalisation a été mené par des chercheurs et des comptables. À ce sujet, l’Autorité des Normes Comptables déclarait lors de ses États Généraux de 2018 « Il y a une véritable dynamique de l’information extra-financière et nous sommes arrivés à la bascule entre la phase d’exploration et la phase de mise en œuvre par et pour l’entreprise »

La comptabilité extra-financière a pour objectif de valoriser les externalités positives et négatives d’une activité sur l’environnement et sur la société. Elle donne une valeur à ce qui n’apparaît pas dans les comptabilités traditionnelles telle que la santé d’un ouvrier, la qualité de la terre ou de l’atmosphère. En effet, l’environnement dans lequel nous évoluons n’est pas rémunéré pour les services qu’il offre.

Pour parler de comptabilité extra-financière, il est nécessaire d’apposer un prix à un attribut qui n’en a – à priori – pas. Pour se faire, Florence Jany-Catrice définit dans son ouvrage « Faut-il attendre la croissance ? », trois techniques de définition de la valeur :

  • La valeur de réparation, qui serait le coût nécessaire à la réparation du dégât causé.
  • La valeur tutélaire ou de négociation, qui n’aurait comme fondement qu’une négociation entre des parties (état, entreprises, associations…) et serait donc complètement arbitraire et le fruit d’un rapport de force.
  • La valeur contingente, qui est la technique la plus utilisée et qui consiste à réaliser une étude sur un panel de participants (qui doivent représenter la population dans son ensemble) en leur demandant quelle valeur ils accorderaient à une externalité.

La technique du coût contingent a le défaut de reposer sur un référentiel de valeur propre aux individus et non sur une évaluation éclairée des impacts. Ainsi une externalité peut, suivant les individus, être jugée comme primordiale par certains ou anecdotique par d’autres. Philosophiquement, cette technique perpétue l’idée que la valeur des biens naturels comme la biodiversité d’une forêt ne soit en fait que le résultat d’une loi du marché qui estime ce que l’on est prêt à payer pour bénéficier de l’existence de celui-ci.

Aussi, il est possible de se représenter la valeur de la mort d’un certain nombre d’individus d’une espèce animale par exemple, mais comment estimer la valeur de la disparition totale de celle-ci ? En effet, la perte du patrimoine génétique que représentait cette espèce est bien plus importante que celle d’un certain nombre d’individus, mais comment l’évaluer ?

La comptabilité CARE (Comprehensive Accounting in Respect of Ecology) a été imaginée dans le but de répondre à ce besoin de comptabilité extra-financière. Elle repose sur les travaux de deux chaires [1][2], plusieurs thèses, du collège des Bernardins et du projet TIGA de Fermes d’Avenir.

 

Parallèle entre comptabilité traditionnelle et comptabilité CARE

Dans une comptabilité traditionnelle, afin de pouvoir dégager un profit, une activité doit avoir remboursé ses dettes en cours à la fin de l’exercice. Dans la comptabilité CARE, on se propose d’étendre ce système à une vision systémique de l’activité : nature + humain + finance. L’idée sous-jacente ici est de trouver une réponse comptable au constat que le profit financier se fait aujourd’hui au détriment d’un capital naturel et humain qu’il s’agira un jour de rembourser et qu’il est nécessaire d’intégrer ce calcul dans la comptabilité des entreprises afin d’orienter les décisions de celle-ci.

L’entreprise, en plus de rembourser ses créances, doit conserver l’intégralité du capital humain et naturel qui lui permet d’exercer son activité. Si elle a, par exemple, utilisé un champ pour faire pousser du blé, il s’agira alors d’enrichir le sol avec du compost et de le pailler en hiver afin qu’il retrouve des qualités et de placer des haies et des réservoirs de biodiversité afin de conserver celle qui a subi les conséquences de l’agriculture. De cette manière, à la fin de l’exercice, le capital naturel aura été préservé et les « dettes » contractées auprès de l’environnement auront été remboursées.

La valeur du capital humain et environnemental repose alors sur la valeur de réparation qui peut être ex-ante (on préserve l’externalité positive) ou ex-post (on régénère après avoir contracté une dette). Une activité qui réussit à rembourser ses dettes – on dit qu’elle est solvable ou profitable – dans une comptabilité CARE a maintenu son capital naturel et humain à un niveau jugé acceptable. Si l’état initial du terrain cultivé était mauvais, il s’agit de le régénérer à un niveau supérieur.

 

La comptabilité CARE comme facteur d’avancement

Utilisée ainsi, la comptabilité CARE doit permettre de prendre des décisions avisées sur un modèle systémique mais repose sur les choix de définition des externalités à conserver. Elle ne constitue pas une norme comptable universelle mais doit permettre au sein de chaque entreprise de poser la question : « Que dois-je conserver pour le bien de mon activité ? » et de prendre des décisions éclairées. Un des objectifs de la recherche en cours sur ce sujet est de normaliser des valeurs comptables qui pourront servir de référence à l’avenir. Un travail d’analyse intégrée des impacts reste toujours nécessaire pour implémenter ce type de comptabilité au sein d’une organisation et il est par ailleurs l’occasion de réaliser une concertation de ses parties prenantes et de mettre à plat l’organisation de la chaîne de valeur de l’activité. Ce type de comptabilité et la notion de conservation du capital humain et naturel donne à l’entreprise une dimension nouvelle : celle d’acteur de la préservation du système qui lui permet d’exister.

Dans ce cadre, salaires décents, prévention des risques psycho-sociaux, qualité de l’air respiré et protection de la biodiversité deviennent des enjeux stratégiques à intégrer dans le déploiement d’un nouveau projet. Cette comptabilité extra-financière est un des nombreux outils à disposition des entreprises afin de comprendre les enjeux systémiques auxquels elle est confrontée. Le travail d’analyse en amont est la garantie d’une cohérence de ceux-ci avec la réalité de l’entreprise au quotidien.

 

[1] La chaire « Comptabilité Ecologique » (AgroParisTech, Université Paris-Dauphine et Université de Reims-Champagne Ardenne – LVMH, Compta Durable, Conseil Régional de l’Ordre des Experts-Comptables de Paris-IDF, CDC Biodiversité)
[2] La chaire « Evaluer et rendre compte de la performance globale » (Groupe Sup de Co La Rochelle – Fleury Michon)

 

David BEGENAU – Consultant Développement Durable

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